Déstockage : le bon business des denrées presque périmées

Moins cher que le hard-discount, le déstockage. Un modèle économique qui se développe à l’ombre de la grande distribution.

 


’Supermarché’ (C.Alary/Flickr).

Argenteuil. Un hangar transformé en magasin alimentaire. Bouteilles de Coca-Cola, jus de fruits Joker, céréales Special K, sauces Amora, cornichons Maille, eau Evian… Des produits de marque vendus à prix cassés. Les clients scrutent les bonnes affaires, surtout les produits qui seront périmés le lendemain et qui ne coûtent que 0,25 euros. Nous sommes chez un déstockeur.

Contrairement au circuit de distribution classique, ici, il n’y a jamais les mêmes produits. Tout dépend des invendus dont les distributeurs et les fabricants veulent se débarrasser, soit parce que la date limite de consommation est proche, soit parce que l’emballage a changé. Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution, les appelle les « produits agonisants » .

Culture du secret

Le déstockage alimentaire est très largement plébiscité par les consommateurs de plus en plus préoccupés par leur pouvoir d’achat. Mais pas facile de savoir s’il existe un magasin de ce type à côté de chez soi. Une chape de plomb recouvre la profession : les magasins de déstockage ne sont pas répertoriés et personne ne sait combien il en existe.

Le métier n’est pas bien identifié : derrière le label officiel de « solderies » , se côtoient des magasins qui proposent des produits d’exportation, de déstockage ou d’occasion. La profession n’est pas organisée -ni fédération ni syndicat professionnel- et peu réglementée : « N’importe qui peut devenir soldeur ! “ , lâche Olivier Dauvers.

Surtout, les déstockeurs cultivent le secret. Contactés par Rue89, les uns lâchent ‘ On aime rester discret’ , les autres avertissent qu’ils ne répondent ‘pas aux questions portant sur nos fournisseurs’ .

Des fournisseurs -industriels et distributeurs- auxquels ils craignent de faire de l’ombre. Olivier Dauvers précise :

‘ Le contrat stipule toujours que le magasin n’a pas le droit de faire de la publicité à l’extérieur. Ça veut dire qu’il est interdit de publier une page de publicité sur des tranches de jambon Herta vendus à 50%. Le plus important dans ce métier, c’est de ne se fâcher avec personne, car ce qui fait l’attractivité de ce genre de magasin, c’est qu’il y ait de la ’came’.’

Un homme, pourtant, aime faire la lumière sur son métier. Marceau Vidrequin est un entrepreneur qui a senti la bonne affaire : il y a quatre ans, il a créé l’enseigne ‘ Bravo les affaires’ après avoir travaillé pour le réseau de déstockage breton Noz et le site internet ventesprivees.com. Il ne supporte pas tous les mystères qui entourent sa profession :

‘ C’est un métier un peu sulfureux, il y a une culture du secret, mais c’est idiot. C’est un sport d’acheter des produits à un bon prix, il ne faut pas en avoir honte. Les fournisseurs n’aiment pas parler des déstockeurs car c’est dire qu’ils ont fait une erreur [dans la gestion de leurs stocks, ndlr]. Alors que justement, ils devraient être contents qu’on explique aux consommateurs pourquoi le même produit est moins cher chez nous que chez eux.’

Les clés de la réussite

Marceau Vidrequin est à la tête de onze magasins situés dans l’ouest de la France. Son business ne repose pas seulement sur du déstockage alimentaire, il vend aussi des meubles, des vêtements, de la vaisselle, etc.

En nous faisant visiter le magasin de St-Brieuc (Côtes d’Armor), le PDG nous dévoile d’où viennent ses produits, à quel prix il les a achetés. Il raconte aussi pourquoi les distributeurs (ici Auchan) bradent leurs produits ; et décrypte comment des grandes marques de l’agroalimentaire comme Bonduelle s’y prennent pour déstocker en toute discrétion, ‘ sans perturber le circuit’ . (Voir sur la vidéo)

Le succès de son affaire repose sur trois principes : un prix d’achat déconnecté du coût de production ; un écoulement rapide des stocks (moins de quinze jours) ; trois salariés chargés chaque jour de solliciter les nombreux fournisseurs (6000 à 8000). 80% des produits sont achetés directement aux fabricants, 20% aux distributeurs. (Voir la vidéo)

Le métier de déstockeur est un business rentable. Mais il faut savoir prendre des risques et avoir du flair :

‘ On prend des risques dans le métier : on travaille sur des produits qu’on ne connaît pas, on ne connaît pas leur historique de vente dans la grande distribution. Des fois, on hérite d’un produit pas cher, mais ce n’est pas pour autant qu’il va bien se vendre…’

Un modèle économique marginal

Malgré l’engouement des consommateurs pour ces achats à prix cassés, les magasins de déstockage alimentaire ne vont pas pour autant se multiplier à l’infini. Car ce business ne dépend pas des clients, mais des fournisseurs, non pas de la demande, mais de l’offre. Et l’offre n’est pas illimitée. Le déstockage est un marché de niche, explique Marceau Vidrequin :

‘ Par définition, ça ne peut pas être un marché qui devient leader puisqu’on agit sur des volumes marginaux par rapport à la production totale, donc il y aura un nombre potentiellement limité de magasin. Il n’y a pas un gisement de déstockage à l’infini ! De plus, les fournisseurs gèrent de mieux en mieux leur stock. Mais ce qui pèse en notre faveur, c’est que le cycle de vie des produits est de plus en plus plus court : la durée de vie d’un produit dans un magasin, c’est quelques semaines, quelques mois maximum. Donc ça oblige les fournisseurs à renouveler sans arrêt leur offre et ça génère des invendus. C’est par exemple le cas du dentifrice : il change de packaging trois à quatre fois dans l’année, pourtant c’est rigoureusement le même produit.’

Marceau Vidrequin ne compte pas s’arrêter là. Il est persuadé qu’il pourrait mieux répondre à la demande des fournisseurs en achetant des stocks plus importants : d’ici la fin de l’année, il ouvrira trois nouveaux points de vente, aux alentours de Dijon, Toulouse et Marseille. ‘ Parce qu’il n’y a pas encore de déstockeurs dans le sud de la France.’

Source : rue89

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